Beaucoup de progrès mais toujours insuffisants

La loi Handicap, la création d’une haute autorité contre les discriminations mais aussi l’implication de plus en plus sérieuse des entreprises accélèrent l’intégration des personnes en situation de handicap. Pour autant, le marché du travail reste difficile à pénétrer.

 Le principe des semaines dédiées à de grands sujets de société est parfois démoralisant. Par sa répétitivité il met en relief la permanence du dossier. Mais il nous oblige aussi à faire un point régulier et réaliste sur l’avancée de ces grands thèmes. Celui de l’emploi des personnes handicapées est à la fois réconfortant et déprimant. Réconfortant car en 25 ans, le nombre de postes occupés par ces salariés a été multiplié par presque 20. Les campagnes nationales d’information comme le durcissement des pénalités financières (1500 fois le smic horaire) pour les entreprises de plus de 20 salariés employant moins de 6 % de personnes handicapées commencent à porter leurs fruits. En 1987, l’Agefiph collectait 604 millions € de pénalités. Aujourd’hui cette somme est légèrement supérieure à 400 millions. Un recul suffisant pour démontrer qu’il n’y a pas d’incompatibilité fondamentale entre emploi et handicap « le principe des pénalités financières a été très motivant en ce sens qu’elles ont permis de dégager des budgets d’action. Chez Ricoh nous en sommes à un stade, plus de 6 % de salariés handicapés, où nous avons le luxe de ne plus être contraints par la loi. Ce qui nous permet de mettre l’accent sur l’exemplarité et la recherche de partenariats avec des entreprises intéressées par notre expérience » reconnaît Emmanuel Lebuchoux DRH de Ricoh France.

Mais si la loi a un rôle à jouer, tous nos responsables considèrent que l’efficacité des politiques d’insertion tient essentiellement dans la capacité de soutenir les actions menées au sein même des entreprises.« Notre direction générale est très sensible et proactive sur ce dossier. Mais il faut Reconnaître qu’il existe des freins dans certains services. C’est pour les dénouer que nous avons instauré durant les 9 mois de formation de nos cadres, un module sur le handicap et la recherche de profil et sur la pédagogie du recrutement » souligne Anne Chamarande responsable communication et recrutement d’AKKA technologies, une société d’ingénierie composée à 98 %d’ingénieurs. De fait, toutes les nouvelles techniques de communication sont mobilisées par les entreprises les plus performantes en matière d’insertion « La place des salariés handicapés fait partie de l’ADN du groupe. C’est ainsi que pour détecter le handicap non visible dans l’ensemble des équipes de Bouygues Telecom nous avons réalisé avec 2 acteurs professionnels et 60 collaborateurs, dont certains de la DG comme figurants, une série en 8 épisodes où l’un des acteurs se retrouve dans les différents métiers du groupe avec au fil des épisodes des pathologies différentes. Il est accompagné par son binôme valide et cela donne l’occasion de multiplier avec humour les informations sur les bonnes pratiques » commente Christian Lema responsable diversité du réseau Clubs Bouygues Telecom.

Une initiative qui a connu un franc succès: 10000 vues en 2 jours. Et un bon outil pour valoriser la marque employeur. Une nécessité soulignée par tous nos experts. Car s’il y a d’indéniables progrès notamment dans la mobilisation de services spécialisés au sein de Pôle emploi – les placements sont en hausse de 4 % pour le premier semestre – et mieux encore de créations en augmentation de 12 % dans les entreprises, il n’en demeure pas moins que 470000 personnes en situation de handicap sont actuellement inscrites sur les listes des demandeurs d’emploi. Ce qui sur 12 mois représente une hausse de 9,5 %.

Sur les deux millions de personnes qui ont une reconnaissance administrative de leur handicap 700 000 seulement ont un travail effectif. Une situation qui s’explique par la conjoncture économique. Par la démographie aussi: 45 % de ces demandeurs d’emploi sont seniors « c’est un problème délicat. Même si grâce à une politique offensive nous avons aujourd’hui 3,35 % de personnes en situation de handicap contre 0,9 il y a 5 ans, nous nous heurtons à des problèmes de qualification. Nous recrutons au niveau du Bac mais nous constatons de lourdes lacunes en anglais ou dans la maîtrise des outils informatiques » souligne Émilie Garnier-Vivien responsable de la mission handicap du groupe Penelope une société de service aux entreprises dans les domaines de l’accueil, de l’événementiel, du marketing terrain ou des centres d’appel.

Le dossier formation est en effet l’autre grand obstacle que doivent surmonter les entreprises dans la mise en oeuvre de leur politique de recrutement. Les personnes en situation de handicap sont plus âgées que la moyenne de la population mais surtout beaucoup moins diplômées. Plus de la moitié d’entre elles ne dispose au mieux que d’un BEPC. Compliqué dans ces conditions de recruter des cadres dans les entreprises de pointe et en particulier dans celles qui surfent sur les technologies avancées « Notre difficulté en ce domaine est le recrutement. Nous sommes capables de convaincre nos clients que nos consultants et experts en situation de handicap ne sont pas des collaborateurs moins performants. Mais nous faisons face à une pénurie de talents issus des grandes écoles et éligibles aux critères de la loi. Nous avons dans nos équipes 150 collaborateurs en situation de handicap. Nous avons plus que doublé notre taux d’emploi en quelques années. Et nous mettons tout en oeuvre pour continuer dans cette voie ! » explique Cristelle Jacq responsable recrutement et diversité d’Assystem une société d’ingénierie qui regroupe 12 000 collaborateurs.

Cette volonté partout présente de faire bouger les lignes se heurte dans quasiment toutes les filières au faible nombre de candidats. Le rôle et les insuffisances de l’Éducation Nationale compliquent toujours l’essor de l’insertion des personnes handicapées dans le marché du travail. Des lacunes que compensent partiellement les entreprises en accueillant des candidats sans aucun diplôme dans des formations qualifiantes.« Nous allons devoir de plus en plus recruter sur des critères de compétences car les capacités professionnelles sont au final les seules qui importent » conclut Anne Chamarande.